« Puis Il dit à Thomas :Avance ici ton doigt, regarde mes mains ;Avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté ;Et ne sois pas incrédule, mais crois. »Jean 20 :27
Le Constat de Thomas
II
L'air de Jérusalem
pèse lourd, non seulement de la poussière des chemins, mais du poids indicible
du chagrin. Quelques jours à peine ont passé depuis ce vendredi sombre où le
ciel lui-même sembla pleurer, où la terre trembla comme secouée de sanglots, où
l'espoir d'Israël, cloué sur le bois infâme, exhala son dernier souffle. Pour
les disciples, terrés dans la chambre haute, la peur est une compagne
constante, chuchotant à chaque ombre, à chaque bruit de pas dans la ruelle. Le
Maître est mort. Celui qui calmait les tempêtes, guérissait les incurables, et
promettait un Royaume éternel n'est plus qu'un souvenir douloureux, une
blessure béante dans le tissu de leur existence. La pierre roulée devant le
sépulcre semblait avoir scellé non seulement un corps, mais toutes leurs
aspirations, toutes leurs certitudes.
Dans cet huis clos
suffocant d'angoisse et de deuil, une rumeur folle commence pourtant à
circuler, portée par Marie de Magdala d'abord, puis par d'autres. "Il est
vivant ! Nous L'avons vu !" Des mots qui devraient être une source de joie
incommensurable, mais qui, pour l'un d'entre eux, Thomas, surnommé Didyme, le
Jumeau, sonnent comme une dissonance cruelle, une insulte à la réalité brutale
du Golgotha. Il n'était pas là lors de la première apparition. Peut-être
était-il ailleurs, consumé par sa propre peine, arpentant les rues désertes,
cherchant un sens à l'anéantissement de son monde. Ou peut-être, simplement, le
hasard tragique l'avait-il éloigné au moment précis où la lumière perçait à
nouveau les ténèbres.
Son absence initiale
devient le terreau d'une tragédie personnelle, celle de l'incrédulité née du
désespoir. Lorsque les autres disciples, les yeux encore brillants de
l'incroyable rencontre, lui partagent la nouvelle avec une ferveur palpable – "Nous
avons vu le Seigneur !" – Thomas oppose un mur. Un mur érigé par la
douleur, par le spectacle insoutenable de la crucifixion qu'il a sans doute
gravé dans sa mémoire, par le pragmatisme qui refuse de céder à ce qui semble
être une hallucination collective, un délire né du traumatisme. Sa réponse est
tranchante, presque brutale, empreinte d'une exigence macabre : "Si je
ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la
marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai
point."
Quelle tragédie !
Être si proche de la source de Vie, avoir marché à ses côtés, écouté ses
enseignements, et pourtant, se retrouver prisonnier d'une logique terrestre
face à l'événement le plus céleste qui soit. Son exigence n'est pas une simple
curiosité scientifique ; elle est le cri d'une âme meurtrie qui ne peut
concevoir le retour de la vie après une mort si certaine, si violente. Il veut
toucher les cicatrices, sonder les plaies, comme pour s'assurer que ce n'est
pas un fantôme, un esprit, mais bien le Maître dans sa chair ressuscitée,
portant les stigmates de son sacrifice. C'est le drame de l'homme qui a besoin
de palper le divin, de soumettre l'infini aux limites de ses sens.
Huit longs jours
s'écoulent. Huit jours pendant lesquels Thomas macère dans son doute, isolé au
milieu de la communauté croyante, portant le fardeau de son incrédulité comme
une tunique de Nessus. Les autres exultent peut-être en secret, mais leur joie
est probablement teintée d'une tristesse pour leur frère obstiné. Et puis, le
huitième jour, alors qu'ils sont de nouveau réunis, portes closes, Jésus
apparaît. Encore. Et cette fois, Thomas est là. Le silence doit être
assourdissant. Tous les regards convergent vers Didyme. Et Jésus, dans sa grâce
infinie mais aussi dans sa connaissance parfaite des cœurs, s'adresse
directement à lui, reprenant mot pour mot l'exigence douloureuse formulée une
semaine plus tôt : "Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance
aussi ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais
crois." (Jean, chapitre vingt, verset vingt-sept). Le moment de vérité
est arrivé, la confrontation entre le doute le plus profond et l'amour le plus
patient.
Cet épisode
poignant, ce face-à-face entre le doute incarné et la grâce ressuscitée,
nous pousse à examiner de plus près : l’obstacle de l'incrédulité, les
mécanismes de la foi et la rencontre divine. Notre première réflexion se
portera sur...
Le Poids de
l'Incrédulité
L'incrédulité n'est
pas neutre ; elle pèse sur l'âme, isole de la communauté et obscurcit la
perception de la vérité divine. Thomas, malgré le témoignage unanime de ses
frères les plus proches, reste prisonnier de son refus de croire ce qu'il n'a
pas expérimenté personnellement.
Voltaire disait avec
une pointe d'ironie : "Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude
est ridicule." Si le doute méthodique peut être un chemin vers la
connaissance, l'incrédulité obstinée, comme celle de Thomas initialement,
devient une cage qui empêche d'accéder à une vérité plus grande qui nous
dépasse.
La Parole de Dieu
nous met en garde contre ce poids. Il est écrit dans l'épître aux Hébreux,
chapitre trois, verset douze : "Prenez garde, frères, que quelqu’un de
vous n’ait un cœur mauvais et incrédule, au point de se détourner du Dieu
vivant." - Cette mise en garde résonne à travers les Écritures,
soulignant le danger spirituel d'un cœur fermé. De même, dans l'évangile selon
Marc, chapitre seize, verset quatorze, Jésus Lui-même "leur reprocha
leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux
qui l’avaient vu ressuscité."
Ces exemples
bibliques nous interpellent directement sur notre propre cœur et notre
réceptivité à la parole divine et au témoignage des autres.
Mais cette
incrédulité n'était pas sans cause apparente chez Thomas ; elle naissait d'une
exigence particulière...
Le Besoin de Voir et
Toucher
L'exigence de Thomas
révèle une facette profondément humaine : le besoin de preuves tangibles,
sensorielles. Face à l'extraordinaire, à ce qui défie la logique et
l'expérience commune (la résurrection), son réflexe est de se raccrocher à ce
qu'il peut vérifier par lui-même : la vue, le toucher. Il veut palper la
réalité de la résurrection.
Aristote affirmait :
"Il n'y a rien dans l'intellect qui n'ait d'abord été dans les sens."
Thomas incarne cette pensée : sa raison, informée par ses sens qui ont constaté
la mort de Jésus, refuse de croire sans une nouvelle information sensorielle
contradictoire et irréfutable.
Jésus, tout en
accédant à la demande de Thomas, souligne une vérité supérieure dans ce même
passage de Jean, chapitre vingt, verset vingt-neuf : "Jésus lui dit
: Parce que tu M’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru
!" - Pourtant, la vue physique
n'est pas toujours synonyme de compréhension spirituelle, car l'apôtre Paul
nous le rappelle. En effet, dans la deuxième épître aux Corinthiens,
chapitre cinq, verset sept, il déclare : "Car nous marchons par la
foi, et non par la vue."
Quelle est donc la
place de nos sens et de notre raison dans notre cheminement de foi face au
témoignage divin ?
Face à cette demande
si humaine, si tangible, la réponse de Christ ouvre la porte non à la
condamnation, mais à une transformation radicale...
Le Triomphe de la
Foi
L'aboutissement de
cette rencontre n'est pas la satisfaction d'une curiosité morbide, mais
l'explosion d'une foi renouvelée et profonde. La confrontation directe avec le
Christ ressuscité ne laisse pas Thomas dans le constat physique ; elle le
propulse vers une confession théologique majeure : "Mon Seigneur et mon
Dieu !". C'est le triomphe de la foi sur le doute, la reconnaissance
de la divinité de Jésus suite à la preuve ultime de sa victoire sur la mort.
Antoine de
Saint-Exupéry a écrit : "Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un
puits quelque part." La foi, de même, perçoit la réalité divine cachée
derrière les apparences, une source de vie que le scepticisme seul ne peut
découvrir. La foi de Thomas, une fois ravivée, voit au-delà des plaies la
gloire du Seigneur.
La confession de
Thomas est l'écho de ce que Paul enseignera plus tard dans l'épître aux Romains,
chapitre dix, versets neuf et dix : "Si tu confesses de ta bouche
le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des
morts, tu seras sauvé. Car c’est en croyant du cœur qu’on parvient à la
justice, et c’est en confessant de la bouche qu’on parvient au salut."
- Cette confession transforme
radicalement la relation avec Dieu, car elle est fondée sur une conviction
profonde. L'épître aux Hébreux, chapitre onze, verset un, définit
magnifiquement cette réalité : "Or la foi est une ferme assurance des
choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas."
Comment cette foi
victorieuse, qui dépasse le besoin de voir pour embrasser la personne de
Christ, peut-elle s'épanouir et s'exprimer en nous aujourd'hui ?
L'histoire de
Thomas, dans sa douloureuse beauté et sa résolution glorieuse, trouve un écho
poignant dans une image simple mais profonde...
Imaginez un instant
un artisan potier devant son tour. Il travaille une motte d'argile avec soin,
visant à créer un vase magnifique. Mais voilà qu'en cours de façonnage, une
impureté dans l'argile, une résistance inattendue - représentant le doute, la
blessure de Thomas - menace de faire éclater toute la pièce. L'artisan pourrait
rejeter l'argile, la juger indigne. Mais le Maître Potier, avec une patience
infinie, ne la rejette pas. Au contraire, Il concentre son attention sur cette
imperfection. Il y applique ses doigts experts (comme Jésus invitant Thomas à
toucher ses plaies), non pour la masquer, mais pour l'intégrer à l'œuvre, pour
la transformer. La pression qu'Il exerce n'est pas punitive, mais corrective et
créatrice. Finalement, le vase achevé porte peut-être une marque unique à cet
endroit, une texture différente, mais cette marque ne le défigure pas. Elle
témoigne de l'habileté et de la grâce du Potier qui a su racheter
l'imperfection pour en faire une pièce unique, solide et belle. Le vase -Thomas,
et nous avec lui - n'est pas parfait malgré la faille, mais il est rendu
parfait et utile par l'intervention miséricordieuse du Maître qui a
touché et transformé sa faiblesse en un point de contact avec Sa puissance.
Frères et sœurs,
l'histoire de Thomas n'est pas seulement le récit d'un doute tragique ; elle
est surtout la démonstration éclatante de la patience et de la grâce infinies
de notre Seigneur Jésus-Christ. Il n'a pas condamné Thomas pour son
incrédulité, Il ne l'a pas rejeté. Il est venu à lui, Il l'a rencontré là où il
était, dans son besoin désespéré de preuves. Il a offert ses propres cicatrices
comme pont entre le doute humain et la foi divine.
Quelle merveilleuse
consolation pour nous aujourd'hui ! Peut-être portons-nous aussi nos doutes,
nos questions, nos propres exigences de "voir et toucher" dans un
monde qui nous pousse souvent au scepticisme. Jésus nous connaît. Il voit nos
cœurs, nos luttes, nos propres "poids d'incrédulité". Et comme pour
Thomas, Il s'approche de nous avec amour, nous invitant non pas à rester dans
le doute, mais à avancer vers Lui.
Il nous rappelle la
bénédiction promise à ceux qui croient sans avoir vu. Cette foi n'est pas un
saut aveugle dans le vide, mais une confiance éclairée, fondée sur le
témoignage apostolique, sur la puissance transformatrice de l'Esprit Saint dans
nos vies et sur la fiabilité de Sa Parole.
Alors aujourd'hui,
je vous lance cet appel : Si vous êtes comme Thomas, luttant avec le doute,
n'ayez pas honte. Apportez vos questions honnêtement à Jésus. Mais ne restez
pas figés dans l'exigence de preuves physiques. Ouvrez les yeux de votre cœur. Laissez
la rencontre avec le Christ ressuscité, par Sa Parole et Son Esprit,
transformer votre incrédulité en une foi vivante et triomphante.
Puissions-nous tous,
que nous ayons vu des signes tangibles ou non, faire nôtre la confession
sublime de Thomas, non pas comme une conclusion intellectuelle, mais comme le
cri d'un cœur saisi par l'amour et la majesté du Sauveur : "Mon
Seigneur et mon Dieu !"
Embrassez
la grâce qui vous est offerte, et marchez par la foi, non par la vue, assurés
de la présence et de la puissance de Celui qui a vaincu la mort et qui vit à
jamais.
Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire